Guerre en Ukraine : "Poutine a déjà perdu", estime Frans Timmermans

Guerre en Ukraine : "Poutine a déjà perdu", estime Frans Timmermans



Notre 1re invité ce matin est une grande voix européenne, ancien ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas, aujourd'hui 1er vice-président de la Commission européenne. Bonjour Franck Steamermans, merci d'être avec nous ce matin. Il y a quelques jours à Asmikron, on recevait votre place Robert Banninter, qui regrettait que nous ayons quelque peu oublié, nous Français, qu'il y avait une guerre au coeur de l'Europe, à 2h15 de vol de Paris, que des jeunes mourraient tous les jours sur le front, et même parfois des journalistes, journaliste français comme hier, Armand Saldin, le journaliste de l'AFP. Avez-vous le sentiment Franck Steamermans, que les Européens se sont habitués à cette guerre en Ukraine, qu'il y a comme une forme de lassitude, qu'on commence à oublier au fond, et que c'est ça qu'espère Poutine ? Heureusement, je n'ai pas ce sentiment, mais il y a toujours ce danger après une année de guerre qu'on s'y habitu. Et donc je comprends très bien le sentiment de Robert Banninter, que j'admire d'ailleurs énormément. Et je vois quand même une volonté politique à l'échelle européenne de tous les États membres, de continuer à soutenir l'effort des Ukrainiens, de se défendre. Parce que tout le monde est très conscient du fait que ce n'est pas seulement une guerre en Ukraine, c'est une tentative de Poutine de s'imposer aux voisins, et puis il voudra aussi s'imposer à nous.

Et donc c'est un combat aussi pour notre liberté, pour notre futur comme pays libre. Mais alors la dernière fois que je vous intervue c'était il y a trois mois en février, et vous nous disiez cette guerre sera une défaite de Poutine, il va perdre ses sûres, ses clairs. Est-ce que vous le dites encore aujourd'hui trois mois après, où vous avez des doutes, comme on l'entend parfois ces derniers jours dans les chancelleries occidentales, l'Ukraine peut ne pas gagner cette guerre, Poutine peut la remporter ? Franchement je crois qu'il a déjà perdu. C'est seulement on peut perdre une guerre, mais on peut quand même continuer à combattre. On l'a vu aussi dans la deuxième guerre mondiale, les Allemands ont perdu déjà en 1943, mais ils ont continué encore deux ans. Donc là aussi il y a la possibilité de continuer. Vous, il a déjà perdu ? Oui, il a déjà perdu parce que aucun objectif qu'il avait il y a un an a été tenu.

Il voulait montrer hier, pendant sa grande fête nationale, la conquête de Bartmout, ils ont échoué, ils ont échoué partout, ils sont plus capables de foncer. C'est quand même, ça démontre un désespoir avec ces drones etc. Il n'a pas les moyens de foncer. Et les Ukriniens ont des moyens pour repousser les Russes, et je crois qu'ils font le front. Ont-ils assez de moyens ? C'est toujours et encore la question, c'est de ça dont Ursula Wanderleyen a parlé hier à Kiev avec Volodymyr Zelensky, qui lui répond et qui lui dit les armes manquent. On en a besoin tous les jours sur le terrain. Absolument, absolument.

Thierry Breton de la Commission, vous regrettez il y a quelques jours, la lenteur en disant en matière de défense, nos industriels européens doivent désormais passer en mode économie de guerre, ils n'y sont pas encore. Il arrive grâce à Thierry Breton, il y arrive. Donc on est en mesure de mobiliser des fonds et de mobiliser une volonté industrielle de fabriquer ces munitions qui sont nécessaires en Ukraine. Donc je vois, les démocraties sont toujours plus lentes que des dictatures. Parce qu'on décide, par consensus, on décide par des décisions démocratiques et ça prend du temps. Et c'est aussi une beauté de la démocratie, mais dans une situation de guerre. Et là, je rejoins Thierry Breton, il faut adopter aussi une attitude vraiment très active, parce que c'est une guerre et c'est une guerre qui nous implique.

Et c'est une guerre de mouvement. Vous connaissez bien la Russie, vous parlez russe, c'est pas seulement en français, vous suivez ce qui se dit à la télé russe, vous regardez tous les jours la télévision russe. Comme vous vous interprétez les déclarations de Yevgeny Prigogine, le chef de la Milice Wagner, qui tous les jours, depuis quelques semaines, critique l'armée russe, critique la faiblesse des soldats russes, et critique même il y a deux jours, Vladimir Poutine lui-même, il l'a traité de grand-père. Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que ça dit de ce qui se passe aujourd'hui en Russie ? C'est clair qu'il y a des tensions entre les dirigeants, c'est clair que tout le monde a peur de Poutine et en même temps tout le monde est critique de Poutine. Lui, Prigogine, il veut éviter d'être blamé pour le manque de succès, tout ce qu'il a annoncé de faire, il n'a pas fait. Donc ce n'est pas de sa faute, c'est la faute de l'armée, etc. Donc il y a cette dynamique et puis aussi il y a des informations.

C'est déjà Churchill qui l'a dit, dans toute guerre, la première victime, c'est la vérité. Et donc c'est aussi une tentative de créer une réalité inexistante pour nous mettre sur une fausse piste. Et la désinformation, elle continue tous les jours à la télévision russe. C'est gubelle, sa force de répéter les mensonges ont fini, ça devient la vérité. C'est incroyable, si on regarde aussi le discours de Poutine d'hier, c'est quand même hallucinant, les mensonges. Et hallucinant aussi parce que c'est accepté et cru par une majorité de la population russe. Aujourd'hui, la question qui vous obsède en ce moment à la Commission européenne, c'est comment faire pour que des pays comme la Turquie, comme la Chine et leurs entreprises arrêtent de contourner nos sanctions ? C'est ça qui est en train de se passer.

Pour être très clair, aujourd'hui, vous avez des entreprises chinoises qui achètent les produits qui sont bannis et qui les revendent aux Russes. Vous visez notamment la Commission vise 8 entreprises chinoises qui sont en train de faire ça. Ça veut dire quoi ? Il faut les sanctionner, il faut sanctionner plus durement certaines entreprises chinoises ou Turcs ou visez carrément l'Etat ? Il faut quand même démontrer qu'en étant mesure de leur mettre en position d'être accusé. Donc, quel est leur intérêt, leur intérêt d'être productif, si on peut démontrer que par des actions européennes qui sont plus en mesure d'exporter ça en Russie ou ça coûte cher, ça peut aider d'éviter ces exportations parallèles ? Mais alors, ce qu'on dit sur la Chine a fait bondir le ministre des Affaires étrangères chinois hier. La Chine apportera la réplique nécessaire pour protéger fermement les intérêts légitimes des entreprises chinoises. Arrêter de nous viser, arrêter de viser nos entreprises. Le chancelier allemand Olaf Scholz soulignait hier combien la rivalité et la concurrence de la part de la Chine, c'était accru ces derniers temps, la décrivant comme un partenaire certes, mais un concurrent et un rival systémique.

Ce sont les mots que vous employez ce matin. Vous pensez que la Chine aujourd'hui est un rival systémique de leur monde ? Oui, parce que sous la direction de Xi Jinping, il y a eu quand même une renaissance de l'idéologie. La Chine pendant une période assez longue était vraiment orientée vers le commerce, vers la restructération industrielle. Et maintenant, lui, il a réintroduit l'idéologie. Et c'est une idéologie qui va dans une autre direction que la liberté et l'ouverture que nous connaissons. Donc il y a une rivalité idéologique entre les deux systèmes. Et nous, on est quand même dans une position de devoir protéger notre système, notre liberté.

Est-ce qu'on est assez dur ? Est-ce qu'on le protège assez ? Notre système de liberté par rapport au Chinois ? Vous avez l'impression qu'on s'est réveillé ? On est parce qu'on a besoin des Chinois et eux, ils ont besoin de nous. Donc cette dépendance des deux côtés doit être la base pour une discussion. Moi, je n'y dirais pas dans la même direction comme les Américains. On a une position européenne, autonome. Et là, je rejoins quand même le président de la République qui a dit ça clairement. Emmanuel Macron. Francine St-Mermin, c'est vous qui vous occupez à la Commission européenne, c'est vous qui avez théorisé ce qu'on appelle le Green Deal, c'est-à-dire l'alliance entre l'écologie et l'industrie pour faire simple, pour organiser la transition écologique de l'industrie.

Et finalement, c'est vous qui le théorisez. Et finalement, c'est les Américains qui vous piquent l'idée. Biden a repris votre idée avec son Aira, son grand plan d'investissement pour une industrie verte. Il a déboursé des milliards et des milliards sur la table de subventions aux entreprises. Vous n'êtes pas un peu jaloux qu'on n'y arrive pas, nous en Europe ? Ben non, ben non. C'est quand même. Et ben un peu quand même.

Si on voit le total des dépenses européennes, c'est encore plus que ce que font les Américains. Et puis d'être copié par les Américains, c'est quand même un compliment. Et même le chinois, ce qu'on est en train de nous copier, l'introduction d'un prix sur le carbone, c'est une invention européenne qui est aussi copiée par les Chinois maintenant. Oui, mais enfin, on n'arrête pas de parler de notre souveraineté, qu'on met des subventions pour que les entreprises restent en Europe et produisent en Europe et qu'on réindustrialise notre continent. Et on apprenait la semaine dernière que Volkswagen a finalement choisi d'installer sa nouvelle usine de production de batteries au Canada et pas en Europe. Ben on vient d'entendre qu'il y aura un investissement à Dunkerque aussi pour produire des batteries. J'ai vu la PDG de Peugeot hier qui dit qu'on va vers l'électrique d'ici 2030.

Donc l'Europe finalement. Vous trouvez franchement que c'est assez ? Ben on a attendé parce que les Chinois et les Coréens, ils sont allés plus vite. Ils ont fait le choix de l'électrique plus tôt. Mais nous maintenant, on a quand même un peu de fierté européenne sur ces sujets. On est capable de s'adapter, on est capable d'une performance utérieure. Très rapidement, vous avez vu qu'en France ici, on se divise à l'Assemblée nationale sur les drapeaux européens. Faut-il rendre les drapeaux européens obligatoires sur le fronton des mairies, en plus des drapeaux français ? Beaucoup de partis sont contre cette proposition du groupe Renaissance.

Qu'est-ce que ça vous inspire ? Dans mon pays, on ne fait pas à chaque pays de décider de le faire ou non. Pour moi, le drapeau européen, je vois surtout en dehors de l'Union européenne comme symbole de la liberté. Ce drapeau européen, il fait peur à Poutine. Donc c'est un beau drapeau. C'est un beau symbole en tout cas. Merci Francie Mermans d'avoir été avec nous ce matin.



10 Mai 2023, France Inter, Frans Timmermans, L'invité du 7h50, Léa Salamé, Politique

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