Présidentielle en Turquie : Ankara « conservera un intérêt fort pour l’Afrique »• RFI

Présidentielle en Turquie : Ankara « conservera un intérêt fort pour l’Afrique »• RFI



Jean-Marcou, bonjour. Bonjour. Comment la Turquie a-t-elle réussi sa percée en Afrique ces dernières années ? C'est une percée économique qui s'est aussi bâti sur un fort activisme diplomatique, avec l'organisation de déplacements réguliers à un haut niveau politique. Le président de la République actuelle fait au moins une tournée africaine par an, quand ce n'est pas deux, avec l'organisation de sommets du turco-africain en Turquie. Comme celui de décembre dernier à Ankara. Voilà, exactement. Et donc on a finalement une diplomatie de fonds qui s'est mise en route, et cela irrigue en fait des relations économiques et commerciales.

Et puis je crois qu'il y a aussi un soft power important qui s'est fait à la fois sur le plan religieux, sur le plan des transports en particulier avec le succès de la Turquie-Sherlines, qui fait d'Istanbul une sorte de hub de la Turquie-Sherline vers l'Afrique. Et pour finir depuis quelques années maintenant, il y a aussi une intensification des liens militaires entre la Turquie et l'Afrique, notamment avec le succès des drones. La Turquie vend maintenant des drones à un grand nombre de pays africains. Dans ces discours, Récep Tayyip Erdogan tient souvent des propos anti-impérialistes, donc anti-Occidentaux. Comment la Turquie de 2023 parvient-elle à faire oublier qu'elle a occupé elle-même toute l'Afrique du Nord, à l'exception du Maroc, pendant plusieurs siècles ? Je crois qu'il y a là un prisme qui est proprement turque, parce que finalement les turques qui considèrent également que l'Empire Ottoman est un califace, c'est-à-dire unifié en quelque sorte, les musulmans n'ont pas une approche finalement coloniale de leur présence en Afrique. Les turques ne considèrent pas cette présence ottoman en Afrique du Nord comme une colonisation, alors qu'elle l'a été et effectivement elle a aussi provoqué la narda à partir de la première moitié du XIXe siècle. Donc notamment en Egypte ? Voilà, notamment en Egypte.

Donc il y a là probablement un biais essayant de présenter la Turquie comme un pays non aligné, en quelque sorte avec lequel les Africains peuvent avoir des relations confiantes. D'où sa petite phrase devant les Nations Unies il y a 9 ans, le monde est plus grand que 5, par allusion bien sûr au Conseil de sécurité. En 2020, c'est l'armée turque qui a arrêté l'offensive du Maréchal Aftar sur Tripoli. Est-ce qu'il y a une compétition encore aujourd'hui entre la Turquie et Wagner en Libye ? De ce point de vue là, j'ai l'impression que pour l'instant les positions sont un petit peu figées et que justement elles dépendent aussi d'un conflit qui n'est pas réglé. Et les principaux acteurs, même s'ils exquissent parfois des rapprochements qui peuvent paraître spectaculaires, finalement sur le fond n'ont pas encore véritablement surmonté leurs désaccords. Dans une interview avec Josephine de Dede, jeunafrique, le conseiller diplomatique du principal challenger du président Erdogan, Kemal Kilicdaroglu, dit que si l'opposition arrive au pouvoir, il n'y aura plus cette ingérence dans les affaires libyennes et que la Turquie redeviendra impartial. Est-ce que c'est crédible ? Oui, je dirais que cette prise de position, elle est d'abord dans la doctrine du courant politique auquel appartient Kemal Kilicdaroglu, c'est-à-dire le kemanisme.

C'est un courant politique qui finalement a prêché même lorsque la Turquie est entrée dans des alliances, comme le temps avant tout une idée qui était celle de Mustafa Kemal Ataturk, c'est-à-dire celle de l'indépendance nationale. Elle a généré finalement une posture diplomatique de la Turquie pendant des décennies, qui était une posture assez prudente, ne pas s'engager sur des terrains extérieurs et observer cette doctrine qui était celle de la politique étrangère kemaniste, dans le monde, dans le pays. Mais l'intérêt de la Turquie pour l'Afrique d'ailleurs n'a pas commencé avec la KP. Il y a un plan pour l'Afrique qui avait été défini dès 1998, donc on peut penser que quel que soit le gouvernement, quel que soit le président qui sortira des urnes. Dimanche, la Turquie continuera à avoir une politique africaine. Ce qui est vrai, c'est que probablement cette politique africaine risque d'être amendée sur un certain nombre de points. Peut-être justement sera-t-elle moins critique vis-à-vis des Occidentaux, peut-être sera-t-elle moins militaire.

Mais on peut penser quand même que la Turquie conservera un intérêt fort pour l'Afrique. Jean-Marcou, merci.



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