Activités de Wagner en Centrafrique : les États-Unis à l'offensive pour évincer la milice

Activités de Wagner en Centrafrique : les États-Unis à l'offensive pour évincer la milice



On va s'arrêter un instant sur les activités de la milice Wagner. En République centrafricaine, la présence de ces mercenaires n'est plus un secret, elle est régulièrement documentée. Plusieurs rapports accablants ont été publiés. Ces hommes se seraient rendus coupables de crimes de guerre, de viols, de tortures. Vivement encouragés par les Etats-Unis à se séparer de ces alliés. Le président a reçu une offre en contrepartie. Quels intérêts ont-ils à faire, dans la balance? Que risque le président? Toi, Dérat, s'il refuse, voilà autant de questions que nous poserons à notre invité.

Bonsoir à vous, Mathieu Olivier. Vous êtes journaliste à Jeune Afrique et vous travaillez sur le sujet. Merci d'avoir accepté l'invitation. Mathieu, est-ce qu'on sait comment dans un premier temps s'organisent les activités, l'implantation de Wagner en République centrafricaine? Aujourd'hui, on estime que Wagner a environ 1 400, 1 500 hommes en Centrafrique. C'est un chiffre qui a augmenté ces derniers mois en raison de l'augmentation des attaques des groupes armés centrafricains qui ont repris. On distingue deux bases, notamment à Bangui, la base qu'on appelle le camp Kassai, où la majorité des hommes sont situés, et le camp De Roux, où le leadership de Wagner est implanté. Puis on a cinq ou six bases dans des zones un peu plus éloignées de la capitale, à Bria, à Bauda, à Bossangoa, et puis à Béringo, où il y a encore un centre logistique qui est assez connu, puisque Béringo, c'est l'ancien palais de l'empereur Bokassa, donc c'est assez symbolique.

Aujourd'hui, on a un maillage assez large sur la totalité du territoire centrafricain. Et leur mission principale, officiellement, c'est d'épauler les militaires, l'armée nationale? Officiellement, c'est une mission d'instruction de l'armée nationale. C'est comme ça qu'ils sont arrivés. Et aujourd'hui, il y a vraiment une interconnection dans les missions de combat aux côtés des forces armées centrafricaines pour aller repousser dans certaines zones les différents groupes armés. Ils obéissent à la hiérarchie haut gradée de l'armée centrafricaine, ou alors est-ce qu'ils agissent seuls, comme ils l'entendent? Est-ce qu'il y a un commandement centraliste? Il y a un commandement conjoint entre l'armée centrafricaine, le chef d'état-major de l'armée centrafricaine, et le numéro 1 de Wagner en Centrafrique, M. Perfileff. La stratégie est évidemment coordonnée, puisque les Russes de Wagner ne connaissent pas forcément très bien le terrain centrafricain, donc ils ne peuvent pas décider de toutes les actions qu'ils peuvent mener sur le terrain et dans la brousse.

On sait de quelle manière on les a invités, on leur a proposé d'intervenir sur le terrain, mais on parlait tout à l'heure en préambule de notre interview des exactions dont ils se seraient rendus coupables. C'est un déploiement qui s'est fait progressivement depuis 2017-2018, mais qui s'est surtout accentué à la fin de l'année 2020, au moment où les groupes armés ont attaqué Bangui, ont rompu les accords de paix de Khartoum, qui avait été signé en février 2019. Ils ont vraiment contribué à maintenir le régime Toidera à flot, et ensuite, ils ont permis une contre-attaque et un recul des groupes armés. Donc c'est là où Wagner a vraiment pris une emprise très forte sur le système de sécurité centrafricain, qui n'existait pas encore complètement avant. C'est quoi la contrepartie? Quel est le bénéfice de leur présence sur place? C'est ce qui est intéressant aujourd'hui de constater, c'est-à-dire que Wagner, c'est plus uniquement des mercenaires, des ingénieurs, des spécialistes en propagande, c'est des civils aujourd'hui, il y en a de plus en plus, qui ont monté un certain nombre d'entreprises et qui s'implantent dans le tissu économique centrafricain. Ils font de l'exportation de bois, qui passe ensuite par le port de Douala au Cameroun. Ils font l'exploitation de la principale mine d'or du pays, la mine d'or de Ndassima, qui pourrait représenter, si elle était exploitée complètement, plusieurs milliards de dollars.

Ils ont la volonté d'exploiter le café, ils ont lancé leur propre marque de bière, qui va concurrencer le groupe Castel. On est vraiment sur un groupe tentaculaire, y compris dans le domaine économique. Est-ce que c'est ce qui pousse les Etats-Unis à tenter de les évencer? Les Etats-Unis sont dans une stratégie globale en lien avec ce qui se passe en Ukraine. Il faut voir la Centrafrique comme un second front, à la fois pour la Russie et pour l'Occident. Une source de financement aussi? Wagner utilise la Centrafrique comme une source de financement. On a du mal à savoir combien ça peut représenter. Mais très clairement, ils font fondre des lingots d'or qui revendent sur le marché.

Il y a au bas mot plusieurs millions d'euros par an qui rentrent dans les caisses de Wagner. C'est intéressant pour des coûts dérisoires, puisque l'engagement de Wagner sur le terrain ne coûte pas grand-chose. C'est intéressant, mais le gain est politique. Wagner a réussi à ouvrir un front avec la France et les Etats-Unis en Afrique. Le fait que les Etats-Unis répondent de façon officielle et fassent une pression diplomatique fait de Wagner un acteur diplomatique quasiment normal. Ça le banalise un peu. Est-ce que les Etats-Unis ont mis quelque chose d'important? On vous fait une offre, on vous propose d'évencer Wagner du pays, on vous propose autre chose.

Ce qu'ils auraient mis sur la table, c'est une mission de formation de l'armée centrafricaine, typiquement ce que faisait Wagner au début, quand ils sont arrivés, et une augmentation de leur aide au développement via l'USID. L'aide humanitaire aussi? Voilà. Est-ce que ce serait efficace? Je pense que ça arrive un peu tard, dans le sens où Wagner est suffisamment implanté. Il y a des interconnections trop importantes, avec une partie de l'Etat centrafricain et une partie des hommes politiques centrafricains du plus haut niveau. Qui n'ont pas intérêt à les voir partir. Si le président Toadera refuse, il se passe quoi du côté des Etats-Unis? Je pense que les Etats-Unis ont en tête de mettre certaines personnalités centrafricaines dans une liste de sanctions. C'est une forme de chantage? C'est une forme de chantage.

Est-ce que ce serait efficace? Sans doute pas. Le président Toadera est engagé dans une politique très prorusse. Sans doute qu'elle s'affirmera encore plus lors du forum de Saint-Pétersbourg, qui aura lieu cette année, le forum Russie-Afrique, où la Centrafrique risque d'être présentée comme le symbole d'une réussite, d'une nouvelle relation. Donc je pense que les Etats-Unis, et par extension la France, puisqu'on est dans la même stratégie, on part un peu en retard sur ce débat-là. Merci beaucoup. Merci Mathieu et Olivier. Vous êtes journalista à JeuneAfrique.

Merci d'avoir répondu à nos questions. Merci pour votre attention.



Milice, Moscou, RCA, USA, Wagner

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