"De grandes espérances" de Sylvain Duclous - La Chronique ciné de Leo Karmann

"De grandes espérances" de Sylvain Duclous - La Chronique ciné de Leo Karmann



Léo Carman aussi. Ça vous est déjà arrivé d'avoir ce genre de pensée. Vous savez, vous roulez vite sur une départementale à double sens. Les voitures qui vous croisent à quelques mètres, juste derrière ce mur imaginaire, qu'est la ligne blanche. Mur que vous pourriez percer d'un coup de volant, un coup de folie qui bouilleraient votre vie, et celle des passagers de la voiture en face. C'est tantais que vous surviviez à un geste qui vous collerait au cœur et à l'esprit jusqu'à la fin de vos jours. Un geste qui durera une demi-sevonde, et qui reste à jamais.

Et c'est celui qui a eu Madeleine, joué par Rebecca Marder. Un geste qui tue son vouloir, mué par un mélange de peur et de courage pour défendre Antoine, l'homme calme, alors qu'ils sont deux étudiants en vacances tentant de se détendre avant de passer leur examen, et que rien ne pouvait prédire qu'un tel cataclysme puisse se produire. Papa, j'ai. J'ai tué quelqu'un. On s'est fait agresser avec mon copain cet été, en corse, par un type. Mon copain a voulu gérer, mais le type avait un fusil. Ils se sont battus.

Un moment, il a reposé le fusil, et je l'ai pris. J'ai tiré. Je me permets une fois n'est pas coutume de souligner que la scène que vient de rapporter Madeleine est d'une intensité remarquable, par la justice de sa mise en scène, mais aussi par la prestation de ses acteurs, notamment celle de Cédric Apieto, qu'on ne reva qu'ais-on plus du film, mais que je tenais à citer tellement sa proposition, nous poursuit le reste du long-métrage. Et de cette réussite, résulte toute l'oppression qui s'installe ensuite, alors que Madeleine et Antoine, joués par Benjamin Laverne, décident d'enterrer le fusil, de mentir à la police, et de garder ce secret à jamais enfoui, une grande carrière politique les attend, et avec elle, la possibilité de changer le monde, leur ambition est bien trop grande pour que tout s'arrête. Seulement, le meurtre de cet homme, la hante. Elle fait tout pour l'oublier, mettre cet événement de côté, mais il lac gangrène. La culpabilité la ronge, et leur couple se délite.

C'est toi ou moi ? Mais sinon quoi ? Tu veux avoir les flics ? Tu sais ce que c'est la prison ? Tu as déjà été toi ? Non. Je n'irai pas. Pourquoi tu irais pas ? Parce que c'est toi qui as tiré, Madeleine. C'est pas moi ! Tu pouvais lui tirer dans les jambes, si tu voulais. Oh, tu pouvais tirer en l'air. Tu pouvais tirer n'importe où. C'est toi qui as te détruit.

Si tu t'es défendu, on ne serait pas là. Qu'un putain de l'âge, Antoine ! Ennerve-toi, Madeleine. Ennerve-toi à toi qui t'est faite toute seule, qui vient d'un milieu ouvrier, où il t'a fallu travailler plus que les autres pour prétendre la terreève. Quand Gabriel, la tante d'Antoine que vous interprétez, Emmanuel Berco, député au gouvernement, voit son potentiel et lui propose d'intégrer son équipe, à elle plutôt qu'à son neveu, c'est d'une justice qui est insupportable pour Antoine, lui, le favori qui a grandi chez les privilégiés et à qui tout est dû. La déception est grande pour Madeleine, que ce soit l'amour, la justice ou les convictions, dans l'intime, comme en politique, ce sont des valeurs qui ne sont pas forcément partagées avec la même sincérité par tout le monde. Et c'est peut-être de cette désillusion, dont parle dans le fond de grandes espérances, cette fameuse vraie vie, cette soi-disant réalité opposée aux utopistes, celle qui peut amener au cynisme et aux calculs. Et les poèmes de Nero da, tu connais ? Du fond exigu de la mine, j'ai entendu s'élever une voix.

J'ai vu remonter à la surface un être sans visage à masque, barbouillé de sang, de sorais, de poussière, et ce masque m'a dit, où tu iras, parle de ses souffrances, parle, mon frère, de ton frère, qui vit en bas, dans cet enfer. Où tu iras, n'oublie pas d'où tu viens, même si parfois, il faut se battre avec les armes du système que l'on veut détruire, pour vaincre la tête haute, n'oublie pas d'où tu viens, parce que tes frères, ce à qui tu te donnes de l'espoir, comptes sur toi. À bonne entendeur. Leo Carman.



20 Mars 2023, France Inter, La chronique ciné de Léo Karmann, Léo Karmann, cinéma

Enregistrer un commentaire

Plus récente Plus ancienne