Jeanne Herry : "Le manque de dialogue, la polarisation, je trouve ça très compliqué à vivre"

Jeanne Herry : "Le manque de dialogue, la polarisation, je trouve ça très compliqué à vivre"



Il est 7h48, Léa Salamé, votre invité ce matin est réalisatrice. – Bonjour, Janéry. – Bonjour. – Merci d'être avec nous ce matin, amie auditeure. – Merci. – Vous en avez sans doute assez de cette époque clivée, clivante, électrique et stressante. Vous êtes peut-être désespérée aussi sur la nature humaine.

Eh bien allez au cinéma mercredi prochain, voir, je verrai toujours vos visages, un film sur la justice restaurative, cette pratique méconnue en France qui consiste à faire se rencontrer des victimes de vol, de viol, de braquage, avec des agresseurs. C'est un film sur le dialogue, la puissance réparatrice des mots, on en sort à paiser le beau moqueur parce que c'est un film, corrigez-moi si j'ai tort, qui est profondément optimiste, Janéry, c'est un film qui est résolument du côté de la lumière. – Oui, c'est vrai, résolument, c'est un film qui me ressemble un peu forcément parce que c'est un film à la première personne. – Moi, j'ai la chance d'avoir été assez peu éprouvée par la vie, par le monde, je vis une vie de privilégié depuis toujours. Pour autant, je ne suis pas imperméable au monde, au bouleversement, à la douleur, à la souffrance des autres. Mais je reste quand même moi-même plutôt optimiste, je suis quelqu'un de positif et c'est vrai que ça fait trois ans que vous l'avez dit, que j'ai trouvé refuge dans la justice restaurative, un endroit où on se parle, où on s'écoute et où on se répare par le collectif et le dialogue. Et pas dans des dispositifs qui sont fantasmés, qui sont bisounours, qui sont utopistes, c'est des dispositifs concrets.

– Alors je voudrais faire un test autour de la table. Est-ce que l'un de vous trois, Dominique, Yael ou Nicolas, vous avez déjà entendu parler de la justice restaurative ? – Pas du tout. – Ça me dit quelque chose, oui ? – J'aurais parlé, oui. – Moi, j'en avais jamais entendu parler. Et vous dites d'ailleurs que c'est une pratique qui est très très largement méconnue en France. Elle est arrivée en France il y a moins de dix ans. C'est Christiane Tebira, garde des seaux, qui l'avait importé du Québec.

Et donc, l'idée, c'est ça, c'est faire se rencontrer des victimes avec des agresseurs. Pas forcément leurs agresseurs, ça peut être leurs agresseurs, mais par exemple, ça peut être un groupe de paroles, avec ce qu'on voit par exemple, et ensuite dans le film, une retraitée qui s'est fait agresser avec un vol à l'arrachée, particulièrement violent, une caissière qui a été braquée, un chef d'entreprise qui a été braquée, qui a tout perdu ensuite, avec trois détenus qui sont des braqueurs. Pas leurs braqueurs, mais des braqueurs. Je voulais savoir comment vous êtes arrivés, vous comment vous êtes intéressés à la justice restaurative ? Après Pupi, mon précédent film, je ne savais pas exactement quoi écrire, je n'avais pas vraiment d'histoire dans mes tiroirs, donc je suis allée farfouiner, là, du côté du milieu judiciaire, qui me passionne depuis que je suis enfant, et je suis tombée par part le biais d'un podcast sur la justice restaurative. Qui vous passionne depuis que vous êtes enfant ? C'est vrai que Gamine, vous aviez vu une femme de 60 ans, quand vous sortiez de votre collège, aller à la prison rencontrer celui qui avait assassiné sa fille. Oui, on m'avait dit de loin, regarde cette femme, sa fille, c'est fait assassiné, elle est devenue visiteuse de prison, de l'assassin de sa fille, ça m'avait grandement interpellé à l'époque, et je pense que je suis sûre, même que quand j'ai entendu ce podcast, ça a fait écho, et j'ai voulu aller explorer ses dispositifs en général, parce qu'ils sont pétris évidemment d'enjeux, d'intensité, de densité. Moi, je fais du cinéma, je recherche évidemment des terrains de jeu propices à écrire un scénario riche pour des acteurs, pour des grands acteurs, et là, j'avais vraiment de quoi faire.

C'est ce que j'allais vous dire, parce que finalement, c'est quelque chose de hautement cinématographique. Quand on est scotché pendant deux heures à vos acteurs, et aussi, il y a une tension, il y a un suspens. C'est-à-dire qu'on veut savoir, on suit le processus avec les médiateurs jusqu'à la rencontre, et ensuite, on voit si la rencontre fait devenir quelque chose de bon, de meilleur ou pas, ou si ça ne marche pas, et c'est ça qu'on voit sur plusieurs cas. Et on voit que les victimes sont réparées, qu'elles reprennent confiance en elles, les agresseurs à l'issue de ce débat de ces rencontres comprennent leurs actes. Par exemple, Laila Bekti, qui joue cette caissière traumatisée depuis qu'elle a été braquée il y a trois ans dans son supermarché. Depuis, elle est dépressive, elle a peur de tout, elle a peur d'aller voir le spectacle de ses enfants, elle prend des calmants pour ça. Et le fait de rencontrer des braqueurs, de parler avec eux, ça va la débloquer, d'ailleurs, elle dit au braqueur avec qui elle va parler, ça fait trois ans que je suis suivie par un psy, et là, en trois heures, tu m'as débloqué.

Oui, c'est vrai que c'est ça. Voilà, c'est une justice qui travaille à la réparation, psychique de ceux qui ont été abîmés par une infraction, que ce soit des auteurs, des victimes ou même le lien social en général. Et ça fait tomber les fantasmes. On va dire qu'on progresse dans la compréhension des autres et de nous-mêmes. C'est juste reprendre confiance en soi, reprendre confiance dans les autres en général. Par le dialogue, et ça, c'est des mécanismes qui sont hyper puissants. Oui, Miu Miu, votre mère, Janéry, livre une prestation bouleversante en retraitée qui a su bien, un vol à l'arracher ultra-violent, elle a été tabassée par celui qui a volé son sac.

Elle comprend pas pourquoi elle n'a pas lâché ce sac et il l'a traîné en scooter. Et depuis sept ans, elle l'a ausplûte du tout, sorti. Elle s'est repliée totalement sur elle-même. En fait, on n'imagine pas la répercussion que peuvent avoir ce type de crime qu'on considère comme étant un petit peu banale finalement. Et, or, ce type de crime peut avoir sur certaines victimes des répercussions épouvantables. Et on l'écoute, on écoute ce moment où elle parle avec les autres. Je suis là parce que je veux comprendre cette violence.

Je comprends pas cette violence. Je ne comprends plus la jeunesse, la violence partout, la violence dans les paroles. J'ai l'impression de venir d'une autre planète. Je ne veux plus avoir peur. Je veux que ça soit derrière moi. Je ne comprends plus la violence. Notre société est particulièrement violente.

Il y a de la violence partout en politique, on le voit depuis deux mois, mais partout sur les réseaux sociaux, dans nos rapports, dans la rue, partout. C'est aussi quelque chose qui vous intéressait ? Ça ne m'intéresse pas, ça me blesse. Je trouve ça difficile à vivre, en fait. Donc, c'est vrai que moi, je me tiens beaucoup à l'écart des réseaux sociaux. J'ai la chance de pouvoir le faire, je le fais. Mais par contre, la brutalité, oui, ce manque de dialogue, cette polarisation, vous en parliez dans votre introduction, c'est très juste. Moi, je me retrouve tout à fait seclivage dans les débats, cette valorisation du clash, ce manque de dialogue, de compréhension, de nuances.

Moi, je le trouve ça très, très compliqué à vivre. Pas du tout agréable et je trouve ça décourageant. C'est vrai que là, ça gronde drôlement à l'extérieur. Et c'est pour ça que vous vous dites une de vos médiatrices à la fin de films, dit la justice restaurative. C'est tout ce que notre époque déteste. C'est se parler calmement, c'est écouter. C'est le temps long aussi, écouter, prendre le temps d'écouter.

C'est vachement difficile. C'est pour ça que là, on met un bâton de parole. C'est pour ça qu'on prépare les gens, parce qu'en fait, c'est tellement pas facile de pas couper la parole, de pas disqualifier tout de suite les arguments des autres. De pas là, il faut choisir son clan. On a l'impression et moi, je n'ai pas envie de choisir de camp. En fait, je sais que la réalité et la puissance, c'est du côté de la nuance, ce n'est pas du côté de la radicalité. Enfin, je le pense vraiment.

Donc, c'est vrai que ça va à l'encombre de beaucoup de choses. Et moi, je pense qu'il y a des choses qui sont incompressibles dans la vie. Le temps court, c'est super, le temps bref, c'est super. Mais tout ne peut pas marcher par le temps bref, par les petites phrases courtes. On a besoin de reprendre du temps. Et c'est ce que font vos médiateurs. On suit vos médiateurs, joués d'air formidablement par Hélodie Bouches, Jean-Pierre Daroussin, au soulien de Brian, de la comédie française.

On leur apprend les coups de spécifique des médiateurs. C'est comme un psy, mais c'est pas exactement comme un psy. C'est pas exactement ça. Ils doivent empêcher leur émotion d'advenir pour que l'autre puisse parler. Ils doivent se mettre en mode avion. En mode avion. C'est-à-dire qu'en mode avion, on reçoit toutes les informations.

On n'est pas idiot, on n'est pas sur le côté, on n'est pas neutre, on n'est pas endormi, mais on laisse la place à l'autre. On en fera quelque chose plus tard de ces informations. C'est vrai que pour adopter cette posture si spécifique des animateurs de justice restauratif, je le sais, parce que j'ai suivi quelques formations. Vous avez fait trois formations, vous vous êtes documenté. Mais c'est un film vraiment, vous êtes plongé dans cet univers-là. Oui, oui, vraiment documenté, parce que je sais que c'est ça qui libère l'imaginaire, en fait. Pour moi, c'est ancré dans le réel.

Pour autant, c'est quand même la force de la fiction, la puissance, le souffle du romanais que moi je vais chercher toujours. Donc, donc, mais c'est vrai que cette cette posture, elle est hyper spécifique, elle n'est pas facile à attraper. Mais une fois qu'on y est, on s'y sent bien. Et c'est surtout que ça laisse la place aux autres, vraiment. Je veux citer tous les acteurs de votre film. Allez-y. Ben parce que je ne le fais pas, je ne le fais jamais.

Mais là, honnêtement, vous avez réussi à chacun d'entre les très connus, les moins connus, etc. Alors faire faire une prestation qui est incroyable. Gilles Le Louch, Adèle Exars Copoulos, Léla Bekti, Lodi Bouches, Jean-Pierre Daroussin, les trois de la comédie française, Julienne Brayne, Birame Bar et Denis Podalides, Fred Testot, Dali Ben-Salah ou encore Mew Mew, votre mère, que vous vous faites en femme fragile. Vous vous aimez bien. Oui, oui. Parce qu'elle est forte en vrai. Donc vous aimez bien la fragile.

Elle est forte et fragile, mais c'est vrai qu'elle est si belle dans les personnages à fleurs de peau comme ça. Moi, je la trouve très bouleversante. Ils sont tous vraiment très, très, très bons. Grande prestation d'acteurs. Je verrai toujours vos visages. Très beau titre mystérieux qui fait penser à Lévinas qui disait le visage, c'est ce qui nous interdit de tuer. Oh, c'est vachement beau.

Bah, je ne connaissais pas. C'est vrai. Voilà, je verrai toujours vos visages. Merci, Janéry. Ce film est formidable. Étant sale mercredi prochain, on est loin, loin, loin du quotidien en ce moment. Allez-y.

Merci beaucoup. Et on en sort, on se dit, tiens, en fait, on peut peut-être se réparer un peu.



27 Mars 2023, Arthur Teboul, France Inter, L'invité du 7h50, Léa Salamé, Politique

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