Génocide rwandais : "Beaucoup [de responsables] échapperont à la justice", selon Alain Gauthier

Génocide rwandais : "Beaucoup [de responsables] échapperont à la justice", selon Alain Gauthier



Il est 6h20, un homme poursuivi pour génocide et crime contre l'humanité. A partir d'aujourd'hui, devant les assises de Paris, il est accusé d'avoir participé au massacre des tutsis, plus de 800 000 morts en 1994. Il vit depuis plus de 25 ans en France. Bonjour Alain Gauthier. Bonjour. Vous serez sur le banc des particibles, avec votre collectif des particibles pour le Rwanda. Ça fait plus de 20 ans que vous et votre femme, qui est Rwanda, est traquée les responsables de ce génocide à quelques heures de l'ouverture de ce procès.

Que ressentez-vous ? Je vous pose la question, parce qu'il n'y a pas eu beaucoup des procès c'est seulement le 5ème en France. Oui effectivement, pour nous si vous voulez, c'est l'aboutissement d'une longue démarche, parce que M. Hategi Kimana, que nous poursuivons en justice, nous avait été signalés il y a quelques années ici dans la région de Rennes et nous avons dû, comme nous le faisons dans chaque cas de génocide, nous avons dû nous rendre à plusieurs reprises au Rwanda pour aller enquêter, recueillir des témoignages, les donner à nos avocats et pouvoir déposer plainte. Et quel lui est-il reproché exactement ? Alors M. Hategi Kimana, qui s'appelle Manier puisqu'il a été naturalisé français, était un gendarme de la brigade de Nyanza dans le sud du Rwanda et il lui est reproché un nombre important de crimes puisqu'on lui reproche d'avoir installé les barrières pour contrôler l'identité, disons l'ethnie entre parenthèses des gens, des tutsis en particulier bien sûr, il a participé à de grandes turis très importantes sur certaines collines en faisant même intervenir donc ces gendarmes puisqu'il était à du Jean-Chef, en faisant même installer des mortiers à certains endroits qui ont tiré sur les tutsis qui étaient réfugiés au sommet des collines. Donc donneur d'ordre mais aussi meurtrier lui-même ? Alors ça c'est compliqué de dire, je pense qu'il n'y a pas de témoignage véritablement, il y a un cas ou l'autre où effectivement certains témoins l'accusent d'avoir tué lui-même, en particulier un Bourg Maestre, M. Yagasaza mais tout ça sera révélé au moment du procès.

Et que dit-il aujourd'hui ? Quel est sa défense ? Ah bien comme toutes les personnes qu'on a jusqu'à maintenant déférées devant la cours d'assises, il n'y a absolument tout ce qui lui est reproché. Il n'y et pourtant il la fuit son pays et s'est installé incognito en France ? Oui, ben écoutez, on a l'habitude de ce genre de personnage. Dès qu'ils arrivent en France, ils se refont une virginité, ce sont de bons parents, de bons voisins, de voire de bons chrétiens. Et ça trompe le monde si bien que lorsque nous on révèle leur présence en France, c'est nous un petit peu qui passons pour des délianciateurs un peu trop légers. Et il y a combien de plaintes qui ont été déposées en France contre des potentiels génocidaires ? Alors nous depuis 2001, nous avons déposé une bonne trentaine de plaintes qui sont toutes à l'instruction. Les juges ont déjà décrété 4 ou 5 dans lieu, mais maintenant beaucoup de plaintes sont toujours à l'instruction. Et d'après vous il y a combien de potentiellement de génocidaires cachés en France ? Alors c'est difficile à dire parce qu'on n'a pas de chiffres exacts, mais souvent moi j'évoque une centaine de personnes, peut-être plus.

Beaucoup échapperont à la justice bien évidemment puisque le temps passe et ça devient compliqué. C'est très compliqué d'avoir des témoignages, c'est ça ? Bien sûr, ça devient compliqué d'avoir des témoignages. Un nombre important de témoins sont décédés. D'autres ne veulent plus parler, ceux qui sont décédés, je vais donner de l'exemple tout de suite et je voudrais de grande hommage à un ami d'Amiens Rueguera qui devait témoigner vendredi matin aux Assises et qui est décédé brutalement hier soir, donc je voudrais m'associer à la douleur de sa famille et de ses amis. Est-ce que la France est le pays qui a accueilli, c'est pas le bon terme, mais voilà, qui a accueilli le plus de deux génocidaires potentiels ? Alors je pense que la Belgique en a peut-être plus, parce que vu les raisons historiques de la présence des belges au Rwanda, mais je pense qu'en France, oui, la France a accueilli un nombre important. Pourquoi ? Alors je pense qu'un certain nombre d'entre eux avaient déjà pas mal de liens avec la France, soit ils avaient fait des études, soit ils avaient des amis, et puis peut-être qu'ils ont pensé que comme ils le disent souvent, ils sont dans un pays des droits de l'homme et donc ils pensent vivre ici, continuer à vivre ici en toute impunité. Et bien justement, l'homme qui va être jugé à partir d'aujourd'hui, Philippe Atege Kimana, qui aujourd'hui s'appelle Philippe Manier, il avait qu'une vie totalement normale là pendant 20 ans avant que vous retrouviez sa trace ? Oui, absolument.

Nous, on nous a signalé sa présence dans la région de Rennes. Il y a quelques années. Il avait refait sa vie ? Il avait refait sa vie, il travaillait à l'université, il assurait la sécurité à l'université de Rennes 2, et effectivement, personne ne soupçonnait si ce n'est les étudiants Rouandais Tutsi qui l'ont côtoyé et qui continuaient à harceler un petit peu à l'université. Vous dites que vous faites ce travail depuis 20 ans, maintenant plus de 20 ans, dans une optique de réconciliation, de justice évidemment, pour lutter contre l'impunité, qu'il n'y a pas de haine ni de vengeance, et vous dites aussi, j'ai vu ça dans une interview, ça m'intéresse d'avoir cette explication que c'est pour empêcher le négationnisme. Aujourd'hui, il y a des gens qui disent que ça n'a pas existé ? Oui, il y a des gens qui disent que ça n'a pas existé, soit qu'il y a eu un double génocide pendant longtemps, cette notion, disons oui, il y a eu un génocide des Tutsis, mais en revanche, il y a eu d'un autre côté un génocide des Houtous de la part des Tutsis. Voilà, c'est cette idéologie-là que nous combattons, et je pense que la justice qui ne permet pas de donner toute la vérité sur ce qui s'est passé, mais à la fin d'un procès, il va y avoir un verdict et va émerger ce qu'on appelle une vérité judiciaire, et cette vérité judiciaire, elle est décrétée, si vous voulez, à partir du témoignage de beaucoup de gens, ça permet aussi d'écrire l'histoire du génocide à Nyanza, et en plus grand l'histoire du génocide au Rwanda, et c'est une façon effectivement de lutter le génocide des Tutsis à bien eu lieu. Et à part vous qui enquêtent, est-ce que vous avez du soutien ? Alors depuis 2001, nous sommes la seule association à avoir déposé des plaintes.

Ceci dit, nous avons à nos côtés, il y a d'autres associations qui, lorsque les plaintes sont déposées, s'engagent à nos côtés. Mais la justice ? La justice en France. Non, la justice en France ne nous a jamais véritablement soutenu. Nous n'avons cessé, nous, de dénoncer ces lenteurs de la justice. Le premier procès n'a eu lieu qu'en 2014. Donc pendant 20 ans, pratiquement rien ne s'est fait. Cette lenteur est préjudiciable à la vérité.

Non seulement donc la lenteur, mais il y a la manque de moyens. Vous savez, il y a très peu de juge d'instruction qui travaille sur ces dossiers. Je pense qu'il faudra encore plus de 20 ans pour arriver à juger tous les gens contre lesquels nous avons déposé plaintes. Mais beaucoup d'ici là ne seront plus en vie. Et d'où l'importance de ce procès, un qui s'ouvre aujourd'hui et qui va durer jusqu'à la fin du mois de juin, procès auquel vous allez participer. Tous les jours en tant que parti civil. Merci beaucoup à l'ingotier d'être venu ce matin sur France Inter.

Merci à vous.



10 Mai 2023, Alain Gauthier, France Inter, L'invité de 6h20, Mathilde Munos, Politique

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