Bruno Palier : "On n'avait jamais vu d'unité syndicale sur une réforme des retraites"
Bonjour Bruno Palier. Bonjour. Vous êtes directeur de recherche au CNRS en sciences politiques. Vous avez récemment publié un livre qui s'intitule « Réformer les retraites ». Nous sommes à l'aveil d'une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites. L'inters syndical dit même vouloir mettre la France à l'arrêt. C'est la suite du bras de fer avec le gouvernement.
Comment analyser-vous le rapport de force après un mois et demi de contestation? Est-ce qu'il y a un match nul ou avantage pour l'un des deux camps? Bonjour Bruno Palier. Bonjour. Vous êtes directeur de recherche au CNRS en sciences politiques. Vous avez récemment publié un livre qui s'intitule « Réformer les retraites ». Nous sommes à l'aveil d'une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites. L'inters syndical dit même vouloir mettre la France à l'arrêt. C'est la suite du bras de fer avec le gouvernement.
Comment analyser-vous le rapport de force après un mois et demi de contestation? Est-ce qu'il y a un match nul ou avantage pour l'un des deux camps? Il y a surtout un contraste entre les outrances, les débats, les incohérences à l'Assemblée nationale et maintenant les difficultés au Sénat. Donc, un contraste entre quelque chose qui ne semble pas bien maîtriser du côté du gouvernement face au parlementaire et de l'autre côté un mouvement qui semble particulièrement Il y a surtout un contraste entre les outrances, les débats, les incohérences à l'Assemblée nationale et maintenant les difficultés au Sénat. Donc, un contraste entre quelque chose qui ne semble pas bien maîtriser du côté du gouvernement face au parlementaire et de l'autre côté un mouvement qui semble particulièrement maîtriser, qui est à la fois nombreux, qui reste calme dans les mobilisations et qui fait l'objet de l'unité syndicale, ce que l'on n'a jamais vu sur une réforme des retraites depuis qu'elles existent en France, c'est-à-dire depuis 1993. Vous dites carrément jamais vu, les patrons de la CGT de la CFDT quasiment Bratsu Bratsu, ça c'est inédit? Sur une réforme des retraites, non. En fait, on n'a jamais eu d'accord puisque en général la CFDT a plutôt été dans maîtriser, qui est à la fois nombreux, qui reste calme dans les mobilisations et qui fait l'objet de l'unité syndicale, ce que l'on n'a jamais vu sur une réforme des retraites depuis qu'elles existent en France, c'est-à-dire depuis 1993. Vous dites carrément jamais vu, les patrons de la CGT de la CFDT quasiment Bratsu Bratsu, ça c'est inédit? Sur une réforme des retraites, non. En fait, on n'a jamais eu d'accord puisque en général la CFDT a plutôt été dans la négociation, c'est d'ailleurs ce que rappelle Laurent Berger, il dit, nous on n'est pas contre une réforme des retraites, le passé le prouve, mais pas cette fois.
Et justement est-ce que le gouvernement, il essaye quand même de casser cette unité syndicale? Est-ce qu'il essaye encore ou il a lâché l'affaire? Parce que généralement sa porte d'entrée justement c'est la CFDT. Il semblait le faire, le gouvernement dans la période qui a précédé la présentation de la loi au Parlement. Dans les négociations? Voilà, on ne peut pas vraiment appeler ça des négociations, mais en tout cas les la négociation, c'est d'ailleurs ce que rappelle Laurent Berger, il dit, nous on n'est pas contre une réforme des retraites, le passé le prouve, mais pas cette fois. Et justement est-ce que le gouvernement, il essaye quand même de casser cette unité syndicale? Est-ce qu'il essaye encore ou il a lâché l'affaire? Parce que généralement sa porte d'entrée justement c'est la CFDT. Il semblait le faire, le gouvernement dans la période qui a précédé la présentation de la loi au Parlement. Dans les négociations? Voilà, on ne peut pas vraiment appeler ça des négociations, mais en tout cas les consultations. Mais là depuis qu'il y a le France syndicale, il ne semble pas qu'il y ait d'ouverture.
Et sur sa façon de présenter les choses, est-ce que le gouvernement a changé de stratégie de communication depuis le début? Est-ce que les ministres mettent en avant des arguments différents? Est-ce qu'ils ont changé? Je ne sais pas si c'est vraiment une question, puisqu'à peu près tous les arguments ont été utilisés depuis l'argument budgétaire, jusqu'à l'argument, c'est une réforme consultations. Mais là depuis qu'il y a le France syndicale, il ne semble pas qu'il y ait d'ouverture. Et sur sa façon de présenter les choses, est-ce que le gouvernement a changé de stratégie de communication depuis le début? Est-ce que les ministres mettent en avant des arguments différents? Est-ce qu'ils ont changé? Je ne sais pas si c'est vraiment une question, puisqu'à peu près tous les arguments ont été utilisés depuis l'argument budgétaire, jusqu'à l'argument, c'est une réforme juste. On a du mal à trouver la cohérence dans la communication autour de la réforme, alors même qu'elle aurait pu être présentée comme c'est une nécessité budgétaire et tout le monde va devoir faire des efforts et le gouvernement a, Olivier Dussot par exemple, a admis qu'il aurait peut-être dû commencer par là. Ce qui est surprenant par contre, c'est qu'une fois après avoir admis cela, il y a quelques semaines, ce week-end, il a affirmé encore que c'était une réforme de gauche. juste. On a du mal à trouver la cohérence dans la communication autour de la réforme, alors même qu'elle aurait pu être présentée comme c'est une nécessité budgétaire et tout le monde va devoir faire des efforts et le gouvernement a, Olivier Dussot par exemple, a admis qu'il aurait peut-être dû commencer par là.
Ce qui est surprenant par contre, c'est qu'une fois après avoir admis cela, il y a quelques semaines, ce week-end, il a affirmé encore que c'était une réforme de gauche. Une réforme de gauche qui ne ferait pas de perdant. C'est curieux comme déclaration, alors qu'il essaie de s'adresser à la droite, d'essayer de faire passer cette réforme par la droite. Comment vous analyser cette déclaration? Je ne sais pas si on peut vraiment analyser les incohérences. On entend bien que toutes sortes d'arguments sont mis en avant, sans qu'ils arrivent à apprendre vraiment dans l'opinion. Donc on a vu que à la fois la réforme est assez bien comprise dans ces conséquences et que d'autre part, il n'y a pas d'adhésion aux objectifs qui sont assignés à cette réforme. Une réforme de gauche qui ne ferait pas de perdant.
C'est curieux comme déclaration, alors qu'il essaie de s'adresser à la droite, d'essayer de faire passer cette réforme par la droite. Comment vous analyser cette déclaration? Je ne sais pas si on peut vraiment analyser les incohérences. On entend bien que toutes sortes d'arguments sont mis en avant, sans qu'ils arrivent à apprendre vraiment dans l'opinion. Donc on a vu que à la fois la réforme est assez bien comprise dans ces conséquences et que d'autre part, il n'y a pas d'adhésion aux objectifs qui sont assignés à cette réforme. C'est quoi que vous pensez que le gouvernement n'a pas assez préparé cette réforme? Je crois que le gouvernement n'a pas assez préparé la réforme puisque le gouvernement a été focalisé sur deux points, faire des économies le plus rapidement possible et le choix du report de 62 à 64 ans, ce qui permet de faire des économies le plus rapidement possible puisque vous ne versez pas les retraites qui étaient prévues et pendant ce temps-là, un certain nombre de personnes continuent de payer des cotisations. Donc ça, c'est efficace d'un point de vue budgétaire, mais pas tellement du côté C'est quoi que vous pensez que le gouvernement n'a pas assez préparé cette réforme? Je crois que le gouvernement n'a pas assez préparé la réforme puisque le gouvernement a été focalisé sur deux points, faire des économies le plus rapidement possible et le choix du report de 62 à 64 ans, ce qui permet de faire des économies le plus rapidement possible puisque vous ne versez pas les retraites qui étaient prévues et pendant ce temps-là, un certain nombre de personnes continuent de payer des cotisations. Donc ça, c'est efficace d'un point de vue budgétaire, mais pas tellement du côté social ni politique.
Et de l'autre côté, il y avait la focalisation sur la stratégie politique qui consistait à essayer de prendre à la droite un de ces projets qui étaient présentés régulièrement au Sénat. Et sans doute, n'ont-ils pas suffisamment préparé cette réforme en reprenant ce qui était proposé au Sénat tous les ans, ces dernières années, par LR. Et Emmanuel Macron, pourquoi est-ce qu'il est si peu présent dans le débat encore ce week-end, alors qu'il était en Afrique, il a déclaré qu'il n'avait pas grand-chose de neuf à dire? social ni politique. Et de l'autre côté, il y avait la focalisation sur la stratégie politique qui consistait à essayer de prendre à la droite un de ces projets qui étaient présentés régulièrement au Sénat. Et sans doute, n'ont-ils pas suffisamment préparé cette réforme en reprenant ce qui était proposé au Sénat tous les ans, ces dernières années, par LR. Et Emmanuel Macron, pourquoi est-ce qu'il est si peu présent dans le débat encore ce week-end, alors qu'il était en Afrique, il a déclaré qu'il n'avait pas grand-chose de neuf à dire? Je ne sais pas pourquoi il n'est pas si présent. Il cherche à dire… Il dit pourtant que sa réforme est si importante, c'est la mère des réformes selon lui.
On peut se dire qu'il attend de voir un peu comment les choses tournent sans vouloir lui-même prendre trop de responsabilité. On sait qu'en général, le Premier ministre joue le rôle de fusible si jamais ça se passe mal. Et peut-être Emmanuel Macron prépartit un retrait possible si les choses effectivement se durcent. Bruno Pallier, est-ce que je trouve intéressant dans votre propos? Je ne sais pas pourquoi il n'est pas si présent. Il cherche à dire… Il dit pourtant que sa réforme est si importante, c'est la mère des réformes selon lui. On peut se dire qu'il attend de voir un peu comment les choses tournent sans vouloir lui-même prendre trop de responsabilité. On sait qu'en général, le Premier ministre joue le rôle de fusible si jamais ça se passe mal.
Et peut-être Emmanuel Macron prépartit un retrait possible si les choses effectivement se durcent. Bruno Pallier, est-ce que je trouve intéressant dans votre propos? Vous avez écrit une tribu notamment à ce sujet. C'est la façon dont vous analysez cette confrontation sur la réforme des retraites. Ces deux camps qui s'opposent n'ont pas la même analyse de ce qu'elles travaillent. Ils n'ont pas le même regard sur le rapport au travail, les conditions de travail. C'est vraiment ça le nœud du problème. Oui, cette réforme, elle est moins une réforme des retraites.
Puisqu'on le sait, le niveau des retraites ne va pas forcément beaucoup changer. Simplement, il faudra attendre plus longtemps pour avoir un niveau équivalent voire un tout petit peu supérieur. Vous avez écrit une tribu notamment à ce sujet. C'est la façon dont vous analysez cette confrontation sur la réforme des retraites. Ces deux camps qui s'opposent n'ont pas la même analyse de ce qu'elles travaillent. Ils n'ont pas le même regard sur le rapport au travail, les conditions de travail. C'est vraiment ça le nœud du problème.
Oui, cette réforme, elle est moins une réforme des retraites. Puisqu'on le sait, le niveau des retraites ne va pas forcément beaucoup changer. Simplement, il faudra attendre plus longtemps pour avoir un niveau équivalent voire un tout petit peu supérieur. Ce qui est en question, c'est le fait de demander aux Français de travailler un an, deux ans, de plus. Et là, les Français disent non. Et quand vous dites deux camps, les sondages montrent que ce n'est pas vraiment à parité. Puisqu'on a entre 60 et.
Deux tiers un tiers. Voilà, on a deux tiers un tiers si on compte les retraités. Si vous comptez que les actifs, ça fait beaucoup plus que ça. Qui ne sont pas d'accord avec l'idée de devoir travailler deux ans de plus. Et il faut s'interroger de pourquoi les Français ne souhaitent pas travailler plus longtemps. Ce qui est en question, c'est le fait de demander aux Français de travailler un an, deux ans, de plus. Et là, les Français disent non.
Et quand vous dites deux camps, les sondages montrent que ce n'est pas vraiment à parité. Puisqu'on a entre 60 et. Deux tiers un tiers. Voilà, on a deux tiers un tiers si on compte les retraités. Si vous comptez que les actifs, ça fait beaucoup plus que ça. Qui ne sont pas d'accord avec l'idée de devoir travailler deux ans de plus. Et il faut s'interroger de pourquoi les Français ne souhaitent pas travailler plus longtemps.
Alors qu'effectivement, par exemple, en Allemagne, en Suède, en moyenne, on travaille un petit peu plus longtemps qu'en France. Et la réponse, c'est quoi? Et la réponse, c'est la stratégie économique des entreprises qui consiste à produire la même chose qu'avant, mais avec moins de monde, en faisant une pression sur les salariés. On connaît le mode de management en France, c'est ce qu'il s'appelle le Lean Management. On essaie d'éliminer tout ce qui paraît superflu. Y compris la formation, y compris l'amélioration des conditions de travail, Alors qu'effectivement, par exemple, en Allemagne, en Suède, en moyenne, on travaille un petit peu plus longtemps qu'en France. Et la réponse, c'est quoi? Et la réponse, c'est la stratégie économique des entreprises qui consiste à produire la même chose qu'avant, mais avec moins de monde, en faisant une pression sur les salariés. On connaît le mode de management en France, c'est ce qu'il s'appelle le Lean Management.
On essaie d'éliminer tout ce qui paraît superflu. Y compris la formation, y compris l'amélioration des conditions de travail, en mettant la pression, en assignant des objectifs de plus en plus élevés aux salariés, une intensification du travail avec de moins en moins de participation des salariés aux décisions, à la définition des stratégies. Donc il y a une perte de sens, une perte d'adhésion au travail qui peut se lire dans beaucoup d'enquêtes et qui ne concerne pas que les plus modestes, qui concerne aussi les niveaux intermédiaires, le management. Il y a une fatigue vis-à-vis de ce management qui consiste à essayer de faire en mettant la pression, en assignant des objectifs de plus en plus élevés aux salariés, une intensification du travail avec de moins en moins de participation des salariés aux décisions, à la définition des stratégies. Donc il y a une perte de sens, une perte d'adhésion au travail qui peut se lire dans beaucoup d'enquêtes et qui ne concerne pas que les plus modestes, qui concerne aussi les niveaux intermédiaires, le management. Il y a une fatigue vis-à-vis de ce management qui consiste à essayer de faire toujours plus avec moins de gens. Et ça nous explique une situation hyper paradoxale.
Vous avez en fin de carrière, entre 55 et 65 ans, à la fois la moitié des gens qui ne sont plus en emploi parce qu'on les a fait partir, parce qu'on estime qu'ils ne sont plus assez productifs ou qu'ils sont trop chers. Et l'autre moitié qui n'en peut même, parce qu'on a mis la pression sur eux dans leur carrière. Bruno Paglie, il nous reste 30 secondes, ça va trop vite. J'aimerais qu'on termine avec le bilan politique de cette bataille toujours plus avec moins de gens. Et ça nous explique une situation hyper paradoxale. Vous avez en fin de carrière, entre 55 et 65 ans, à la fois la moitié des gens qui ne sont plus en emploi parce qu'on les a fait partir, parce qu'on estime qu'ils ne sont plus assez productifs ou qu'ils sont trop chers. Et l'autre moitié qui n'en peut même, parce qu'on a mis la pression sur eux dans leur carrière.
Bruno Paglie, il nous reste 30 secondes, ça va trop vite. J'aimerais qu'on termine avec le bilan politique de cette bataille et que vous avez ce qu'il sait d'ailleurs dans une autre tribune. Vous parlez même de coups politiques. Pour vous, la grande gagnante, ce sera l'extrême droite. Il est assez probable quand on voit la nature de cette réforme. D'abord, celles et ceux qui sont les plus impactés sont parmi les réservoirs de vote du Rassemblement National. À savoir des personnes qui sont dans des revenus modestes, pas les plus pauvres, mais des revenus modestes, qui sont en emploi, qui sont parmi les plus touchés par cette réforme, et que vous avez ce qu'il sait d'ailleurs dans une autre tribune.
Vous parlez même de coups politiques. Pour vous, la grande gagnante, ce sera l'extrême droite. Il est assez probable quand on voit la nature de cette réforme. D'abord, celles et ceux qui sont les plus impactés sont parmi les réservoirs de vote du Rassemblement National. À savoir des personnes qui sont dans des revenus modestes, pas les plus pauvres, mais des revenus modestes, qui sont en emploi, qui sont parmi les plus touchés par cette réforme, qui ont déjà subi les Gilets jaunes, etc. Donc, d'autres ingrédients, c'est le mensonge autour des 1200 euros. Et on sait que le reproche de l'extrême droite, c'est il nous ment.
Et puis enfin, c'est ne pas tenir compte de ce qu'on leur dit. C'est cette caractéristique de la défiance politique. C'est il ne s'occupe pas de nos problèmes. Merci beaucoup pour votre analyse Bruno Palier. Je rappelle que vous êtes directeur de recherche au CNRS en sciences politiques. Et je redonne le titre de l'un de vos ouvrages qui ont déjà subi les Gilets jaunes, etc. Donc, d'autres ingrédients, c'est le mensonge autour des 1200 euros.
Et on sait que le reproche de l'extrême droite, c'est il nous ment. Et puis enfin, c'est ne pas tenir compte de ce qu'on leur dit. C'est cette caractéristique de la défiance politique. C'est il ne s'occupe pas de nos problèmes. Merci beaucoup pour votre analyse Bruno Palier. Je rappelle que vous êtes directeur de recherche au CNRS en sciences politiques. Et je redonne le titre de l'un de vos ouvrages qui concerne pleinement le sujet dont nous venons de parler.
Réformez les retraites. Il est paru aux éditions Sciences Po. qui concerne pleinement le sujet dont nous venons de parler. Réformez les retraites. Il est paru aux éditions Sciences Po.
6 Mars 2023, Bruno Palier, France Inter, L'invité de 6h20, Mathilde Munos, Politique